Chapitre 4

ROLAND ET CUTHBERT

 

1

 

Roland, Cuthbert et Alain sortirent sur le porche du baraquement du Bar K, environ deux heures après que Jonas eut quitté la chambre de Coraline au Repos des Voyageurs. Le soleil était alors bien au-dessus de l’horizon. Ils n’étaient pas des lève-tard de nature, mais Cuthbert résuma la chose ainsi :

— Il nous faut maintenir une certaine image du Monde de l’Intérieur. En nous montrant non pas fainéants, mais nonchalants.

Roland s’étira, écartant les bras vers le ciel en un large Y, puis, se baissant, toucha la pointe de ses bottes. Cela lui fit craquer la colonne vertébrale.

— Je déteste ce bruit, dit Alain.

Il avait l’air morose et mal réveillé. En fait, il avait eu le sommeil troublé par de drôles de rêves prémonitoires toute la nuit – des trois, lui seul se trouvait en proie à ce phénomène. À cause du shining, peut-être, qui, chez lui, avait toujours été développé.

— C’est pour ça qu’il le fait, dit Cuthbert, frappant sur l’épaule d’Alain. Haut les cœurs, mon vieux ! T’es bien trop beau pour déprimer.

Roland se redressa et ils traversèrent la cour poussiéreuse en direction des écuries. À mi-chemin, il s’arrêta si brusquement qu’Alain faillit lui heurter le dos. Roland avait les yeux tournés vers l’est.

— Oh, fit-il d’une drôle de voix stupéfaite. (Il sourit même un peu.)

— Oh ? lui fit écho Cuthbert. Oh quoi, grand chef ? ô joie, je verrai tantôt ma dame parfumée, ou bien oh crotte, faut que je bosse avec mes malodorants compagnons toute la sainte journée ?

Alain fixait le bout de ses bottes : neuves et désagréables à porter à leur départ de Gilead, elles étaient maintenant craquelées d’avoir traîné sur toutes les pistes, le talon un peu éculé, et aussi confortables que des bottes de travail pouvaient l’être. Les regarder valait mieux que de regarder ses amis, pour l’instant. Les railleries de Cuthbert avaient toujours un petit côté tranchant, ces jours ; son sens de toujours de la plaisanterie avait cédé à la place à quelque chose de déplaisant et de mesquin. Alain s’attendait à tout moment à ce que l’un des quolibets de Cuthbert ne fasse exploser Roland, comme la gerbe d’étincelles qu’un silex tire d’un morceau d’acier, qui l’étendrait raide sur la place d’un coup de poing. En un sens, Alain le souhaitait presque. Ça allégerait l’atmosphère.

Mais pas celle de ce matin.

— Oh, simplement oh, fit Roland d’un ton conciliant.

Il se remit en marche.

— J’implore ton pardon, car je sais que tu ne veux plus en entendre parler, mais je dirais encore un mot au sujet des pigeons, fit Cuthbert, tandis qu’ils sellaient leurs montures. Je crois toujours que ce message…

— Je vais te promettre quelque chose, dit Roland avec un sourire.

Cuthbert l’observa avec méfiance.

— Si fait ?

— Si tu veux toujours expédier un message demain matin par la voie des ailes, eh bien on le fera. On enverra le pigeon que tu choisiras dans l’ouest vers Gilead, porteur d’un message de ton cru attaché à sa patte. Qu’est-ce que t’en dis, Arthur Heath ? Ça te va ?

Cuthbert le fixa un instant d’un air suspicieux qui serra le cœur d’Alain. Puis il rendit son sourire à Roland.

— Ça me va, dit-il. Merci.

Là-dessus, Roland dit quelque chose dont l’étrangeté frappa Alain et fit résonner sa corde presciente d’un frisson d’inquiétude.

— Attends avant de me dire merci.

 

 

2

 

— Je veux point aller là-haut, sai Thorin, dit Sheemie.

Une expression inhabituelle creusait son visage lisse en temps normal – une grimace craintive trahissant une certaine agitation.

— C’est une dame qu’elle fait peur, peur comme on meurt, si fait. Elle a une verrue, juste là.

Il se toucha le bout du nez, qu’il avait petit, fait au moule et sans protubérance.

Coraline, qui hier encore lui aurait arraché la tête avec les dents en le voyant manifester autant d’hésitation, se montrait d’une patience peu coutumière.

— Ce n’est que trop vrai, dit-elle. Mais, Sheemie, elle te réclame spécialement et elle donne des pourboires. Tu sais ça, et des bons.

— Ça me fera une belle jambe si elle me change en pou, dit Sheemie d’un ton grognon. Pour un pou, un sou c’est point un sou.

Néanmoins, il se laissa mener là où Caprichoso, le mulet de l’auberge, était à l’attache. Barkie l’avait chargé de deux petits fûts. L’un, plein de sable, servait de contrepoids. L’autre contenait le graf nouveau pour lequel Rhéa avait un penchant.

— Le Jour de Fête approche, fit Coraline gaiement. C’est même pas dans trois semaines.

— Si fait.

Sheemie parut rasséréné à cette nouvelle. Il aimait les Jours de Fête à la folie – les lumières, les pétards, les bals, les jeux, les rires. Pendant les Jours de Fête, tout le monde était content et ne lui lançait plus de méchancetés.

— Si un jeune homme a des sous dans sa poche, il se paiera du bon temps à la Fête, c’est sûr, dit Coraline.

— Oui, ça, c’est bien vrai, sai Thorin.

Sheemie avait l’air de quelqu’un qui venait de découvrir l’un des grands principes de l’existence.

— Si fait, vrai de vrai.

Coraline mit le licou de Caprichoso dans la main de Sheemie et lui referma les doigts dessus.

— Bon voyage, mon garçon. Sois poli avec la vieille chouette, fais-lui ton plus beau salut… et arrange-toi pour redescendre de là-haut avant qu’il fasse noir.

— Si fait, bien avant, dit Sheemie qui, à l’idée de se trouver sur le Cöos après la tombée de la nuit, ne put s’empêcher de frissonner. Bien avant, aussi sûr qu’y faut casser des œufs pour faire une omelette.

— T’es un bon garçon.

Coraline le regarda s’éloigner. Sa sombrera rose enfoncée sur le crâne, il menait le vieux mulet grincheux par le licou et quand il disparut derrière le sommet de la première pente douce, elle répéta :

— T’es un bon garçon, va.

 

 

3

 

Jonas, posté au flanc d’une crête, à plat ventre dans l’herbe haute, laissa passer une heure après le départ des morveux du Bar K. Il gagna alors le haut de la crête à cheval et les distingua sous la forme de trois petits points sur la pente brune à une bonne lieue et demie de là. Attelés à leur tâche quotidienne. Aucun signe qu’ils soupçonnassent quoi que ce fût. S’ils étaient plus malins qu’il ne l’avait supposé tout d’abord… en aucun cas pas autant qu’ils se l’imaginaient.

Il s’approcha jusqu’à cinq cents mètres du Bar K – qui, l’écurie et le baraquement mis à part, n’était plus qu’une carcasse calcinée sous le soleil éclatant de ce début d’automne – et attacha sa monture dans un hallier de peupliers qui entourait la source du ranch. Les garçons y avaient étendu du linge à sécher. Jonas dépendit pantalons et chemises des branches basses auxquelles on les avait accrochés, les mit en tas, pissa dessus, puis rejoignit son cheval.

L’animal frappa le sol d’un sabot énergique quand Jonas tira la queue du chien de l’une de ses sacoches de selle, comme s’il voulait signifier par là « bon débarras ». Jonas n’aurait pas demandé mieux lui aussi que d’en être débarrassé. Elle commençait à répandre un arôme facilement reconnaissable. De l’autre sacoche, il tira un petit pot de peinture rouge et un pinceau. Il les avait obtenus du fils aîné de Brian Hookey, qui s’occupait aujourd’hui de l’écurie de louage. De son côté, sai Hookey devait sans doute être à Citgo à l’heure qu’il était.

Jonas gagna le baraquement sans faire l’effort de se cacher… quoique pas grand-chose le lui eût permis. Il n’y avait d’ailleurs personne de qui se cacher, maintenant que les gamins étaient loin.

L’un d’eux avait abandonné un vrai livre – Homélies et Méditations de Mercer – sur le siège d’un rocking-chair, sur le porche. Les livres étaient des objets d’une exquise rareté dans l’Entre-Deux-Mondes, en particulier plus on voyageait loin du centre. C’était le premier, à l’exception des quelques volumes conservés à Front de Mer, que Jonas voyait depuis son arrivée à Mejis. Il l’ouvrit et lut ceci, écrit d’une main féminine assurée : À mon très cher fils, de la part de sa MÈRE qui l’aime. Jonas déchira la page, ouvrit le pot de peinture où il trempa ses deux derniers doigts. Il barra le mot MÈRE, puis l’ongle de son petit doigt faisant office de plume, il traça au-dessus le mot PUTE. Il accrocha la feuille à un clou rouillé où il était sûr qu’on ne manquerait pas de la voir, puis déchira le livre en mille morceaux qu’il foula aux pieds. Auquel des garçons avait-il appartenu ? Il espéra que c’était à Dearborn, mais ça n’avait pas grande importance.

La première chose que remarqua Jonas en entrant, ce fut les pigeons, roucoulant dans leurs cages. Il avait imaginé qu’ils devaient utiliser un hélio pour envoyer leurs messages, mais pas des pigeons ! Morbleu ! C’était tellement plus finaud !

— Je reviens m’occuper de vous dans quelques minutes, leur dit-il. Soyez patients, mes amours ; picorez et chiez à gogo, tant que vous le pouvez encore.

Il regarda autour de lui avec une certaine curiosité, le doux roucoulis des pigeons lui berçant l’oreille. Des gars ou des seigneurs ? avait demandé Roy au vieux de Ritzy. Et le vieillard lui avait dit les deux, peut-être bien. Des gars propres sur eux, en tout cas, à en juger par l’ordre qui régnait dans les lieux, songea Jonas. Bonne éducation. Trois couchettes, toutes, le lit fait. Trois tas d’affaires personnelles au pied de chaque, impeccablement empilées. Dans chaque tas, il trouva le portrait d’une mère – oh, quels bons fils ils faisaient ! – et dans l’un d’eux, celui des deux parents. Il avait espéré découvrir des noms, peut-être de quelconques papiers (et même des lettres d’amour de cette fille, qui sait ?), mais non, rien de cette sorte. Gars ou seigneurs, ils étaient plutôt prudents. Jonas retira les portraits de leurs cadres et les déchiqueta. Il éparpilla ensuite leurs effets à tout vent, détruisant ce qu’il pouvait dans le temps limité qui lui était imparti. Tombant sur un mouchoir de lin dans la poche d’un pantalon habillé, il y vida son nez avant de l’étendre scrupuleusement sur les bottes d’apparat de son propriétaire de façon à bien mettre en valeur sa traînée de morve verdâtre. Quoi de plus insupportable – de plus déstabilisant – que de rentrer chez soi après une journée de dur labeur à pointer du bétail et de trouver la morve d’un inconnu sur l’un de vos effets personnels ?

Les pigeons s’agitaient, à présent ; bien en peine de criailler comme des geais ou des corneilles, ils n’en essayèrent pas moins de voleter loin de lui quand il ouvrit leurs cages. Tout cela en vain, évidemment. Il les prit un par un et leur tordit le cou. Pour parachever ce haut fait, Jonas fourra un oiseau mort sous l’oreiller de crin de chacun des garçons.

Sous l’un d’eux, il découvrit en prime un stock de bandelettes de papier et un stylo à réservoir qui devaient servir à n’en pas douter à la confection des messages. Il brisa le stylo et le lança à travers la pièce. Mais empocha les bandelettes. Le papier, ça pouvait toujours servir.

Le sort des pigeons réglé, on s’entendait mieux. Jonas se mit à arpenter le plancher de long en large, tendant l’oreille.

 

 

4

 

Quand Alain le rejoignit au galop, Roland ignora la figure blême et hagarde de son ami, comme ses yeux brûlant d’effroi.

— J’en ai dénombré trente et un de mon côté, fit-il. Ils portaient tous la marque de la Baronnie, couronne et écusson inclus. Et toi ?

— Il faut qu’on rentre, dit Alain. Quelque chose ne tourne pas rond. C’est le shining. Je ne l’ai jamais ressenti aussi fortement.

— Quel est ton compte ? insista Roland.

Il y avait des moments – celui-ci en était un – où il jugeait le don de shining d’Alain plus fâcheux qu’utile.

— Quarante. Ou quarante et un, j’ai oublié. Mais qu’est-ce que ça fait ? Ils ont déplacé ceux qu’ils ne veulent pas nous voir compter. Tu m’as pas entendu, Roland ? Il faut qu’on rentre ! Quelque chose cloche ! Quelque chose cloche au campement !

Roland jeta un coup d’œil à Bert, qui chevauchait paisiblement à cinq cents mètres de là. Puis il regarda à nouveau Alain, le sourcil levé en une interrogation muette.

— Bert ? Il n’a jamais été sensible au shining – tu le sais bien. Moi, je le suis. Ça aussi, tu le sais ! Roland, je t’en prie ! Qui que ce soit, il va voir les pigeons ! Peut-être même trouver nos armes !

Alain, si flegmatique en temps normal, en pleurait presque.

— Si tu ne veux pas t’en retourner avec moi, donne-moi au moins la permission de rentrer ! Donne-moi la permission, Roland, pour l’amour de ton père !

— Pour l’amour du tien, je n’en ferai rien, répondit Roland. Mon chiffre est trente et un, le tien, quarante. Oui, on va dire quarante. Quarante, c’est un bon chiffre ; aussi bon qu’un autre, j’intuite. Maintenant, on va changer de côté et recompter.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? chuchota presque Alain.

Il regardait Roland comme si ce dernier était devenu fou.

— Rien.

— Tu le savais ! Tu étais au courant quand on est partis ce matin !

— Oh, il se pourrait que j’aie aperçu quelque chose, dit Roland. Un reflet, peut-être, mais… tu me fais confiance, Al ? C’est tout ce qui importe, je crois. Est-ce que tu me fais confiance ou bien crois-tu que j’aie perdu l’esprit en même temps que mon cœur ? Comme il le croit, lui ?

Il indiqua d’un violent coup de tête la direction de Cuthbert. Roland fixait Alain, un léger sourire aux lèvres, mais le regard lointain et implacable – le regard bleu horizon de Roland. Alain se demanda si Susan Delgado lui avait déjà vu cette expression et, si oui, qu’est-ce qu’elle en avait conclu ?

— Je te fais confiance.

Mais Alain nageait dans une telle confusion qu’il ne savait plus si c’était un mensonge ou bien la vérité.

— Bon. Alors change de côté avec moi. Mon chiffre est trente et un, n’oublie pas.

— Trente et un, acquiesça Alain.

Levant les mains, il les laissa retomber sur ses cuisses qu’il claqua si sèchement que sa monture, flegmatique d’ordinaire, coucha les oreilles et dansota un tantinet sous lui.

— Trente et un, répéta-t-il.

— Je crois qu’on pourra rentrer plus tôt aujourd’hui, si ça doit te faire plaisir, dit Roland avant de s’éloigner sur son cheval.

Alain le suivit des yeux. Il s’était toujours demandé ce que Roland avait dans la tête, mais jamais autant qu’à présent.

 

 

5

 

Crac. Crac-crac.

Jonas entendit enfin ce qu’il avait guetté vainement, et cela juste à l’instant où il allait abandonner ses recherches. Il s’était attendu à découvrir leur planque un peu plus près de leurs lits, mais ils n’étaient pas nés de la dernière pluie, parfait.

Posant un genou à terre, il souleva avec la lame de son couteau la latte qui avait craqué sous son pas. Il y avait en dessous trois baluchons de cotonnade. Ces lambeaux de chiffon étaient humides au toucher et fleuraient bon l’huile d’arme à feu. Jonas sortit les paquets et les défit, curieux de voir la sorte de calibre que ces jeunots trimbalaient avec eux. La réponse était banale, mais pouvait servir. Deux des baluchons contenaient de simples revolvers à cinq coups, du modèle qu’on appelle (pour une raison inconnue de moi) des « dépeceurs ». Le troisième, en revanche, contenait deux six-coups de meilleure qualité que les susnommés « dépeceurs ». En fait, le cœur de Jonas cessa de battre un instant, ce dernier croyant avoir mis la main sur les gros revolvers d’un pistolero – canons d’authentique acier bleui, crosses de santal, âmes aussi larges que des puits de mine. De telles armes, il n’aurait pas pu les abandonner là, quel qu’en soit le coût pour ses plans. Remarquer que leurs crosses n’étaient pas incrustées mais uniformes fut donc un soulagement pour lui. On ne recherche jamais consciemment la déception, mais elle a le don extraordinaire de vous remettre les idées d’aplomb.

Après avoir réenveloppé les armes, il les remit en place, ainsi que la lame du plancher. Une bande de vandales tarés de la ville pouvait toujours venir ici et saccager le baraquement laissé sans surveillance, éparpillant à tout va ce qu’ils n’avaient pu mettre en pièces, mais découvrir une cachette comme celle-là ? Non, fiston. Jamais de la vie.

Tu penses vraiment qu’ils vont croire que ce sont des hooligans de la ville qui ont fait ça ?

Ça se pouvait ; ce n’était pas parce qu’il les avait sous-estimés au départ qu’il devait maintenant tourner casaque et les surestimer. Et il avait le luxe de ne pas avoir à s’en inquiéter. Dans un cas comme dans l’autre, la chose les mettrait en colère. Assez en colère pour leur faire contourner à fond de train leur Butte, peut-être bien. Leur faire jeter toute précaution aux quatre vents… et récolter la tempête.

Jonas fourra la queue de chien sectionnée dans l’une des cages à pigeon, dont elle dépassait comme un énorme plumet moqueur. Avec la peinture, il écrivit des graffitis d’une puérilité charmante comme :

 

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ou encore :

 

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sur les murs, avant de quitter les lieux. Il s’attarda un instant sur le porche pour s’assurer qu’il avait encore le Bar K à lui tout seul. Et bien sûr qu’il l’avait. Cependant, un centième de seconde ou deux, vers la fin, il avait ressenti un léger malaise – presque comme si quelqu’un avait flairé sa présence. Par le biais d’une sorte de don de télépathie propre au Monde de l’Intérieur, peut-être.

Ça existe, et tu connais. Le shining, on appelle ça.

Si fait, mais seuls s’en servaient les pistoleros, les artistes et les fous à lier. Pas les petits garçons, qu’ils soient simples gars ou seigneurs.

Jonas alla néanmoins retrouver son cheval au trot ou presque, l’enfourcha et prit le chemin de la ville. Les choses atteignaient leur point d’ébullition et il y avait encore fort à faire avant que la pleine Lune du Démon ne monte au ciel.

 

 

6

 

La masure de Rhéa, ses murs de pierre et les guijarros fendus de son toit, couverts de mousse, se tapissait sur la dernière colline du Cöos. Au-delà, on avait une vue magnifique sur le nord-ouest – la Mauvaise Herbe, le désert, la Roche Suspendue, Verrou Canyon – mais les panoramas touristiques étaient le dernier des soucis de Sheemie, quand il fit entrer prudemment Caprichoso dans la cour de Rhéa, peu après midi. Il mourait de faim depuis une bonne heure, mais, pour le moment, ses tiraillements d’estomac avaient disparu. Il détestait cet endroit plus que tout autre de la Baronnie, bien plus même que Citgo et ses grosses tours qui n’arrêtaient pas de cric-craquer et de clic-claqueter.

— Sai ? appela-t-il en menant le mulet dans la cour.

Caprichoso refusait d’avancer à proximité de la masure, les sabots enfoncés dans le sol et la tête baissée. Mais quand Sheemie tira sur le licou, il céda. Sheemie en fut presque navré pour lui.

— M’dame ? Ô vous, vieille gente dame qui f’rait point de mal à une mouche ? Z’êtes dans les parages ? C’est ce bon vieux Sheemie qui vous apporte votre graf.

Il sourit et tendit sa main, paume tournée vers le ciel, pour offrir la preuve de son inoffensive délicatesse, mais, de la masure, ne provenait toujours nulle réaction. Sheemie sentit ses tripes se nouer, puis fut pris de coliques. Un instant, il crut qu’il allait chier dans son froc, tout comme un enfançon, puis il fit un vent et se sentit mieux. Au niveau de ses boyaux, s’entend.

Il continua d’avancer, aimant de moins en moins ça à chaque pas. La cour était rocailleuse, parsemée de mauvaises herbes jaunies, comme si l’occupante des lieux avait par son toucher rendu stérile la terre même. Le jardin potager offrait encore quelques légumes – potirons et âpreraves pour l’essentiel –, mais Sheemie s’aperçut qu’il s’agissait de mutés. Puis, dans ce même potager, il vit le pantin de chiffon. Lui aussi, c’était un muté, un vilain coco à deux têtes de paille au lieu d’une et une sorte de main de femme, gantée de satin, lui sortait de la poitrine.

Sai Thorin me convaincra plus jamais d’remonter par ici, songea-t-il. Même pas pour tous les sous du monde.

La porte de la cabane était ouverte. Béante telle la gueule d’un four, d’après Sheemie. Une odeur d’humidité nauséabonde s’en échappait.

Sheemie se tenait à quinze pas de la maison et quand Caprichoso lui taquina l’arrière-train du naseau (comme pour lui demander ce qui les retenait), le garçon poussa un cri aigu. Il faillit s’enfuir à toutes jambes à l’ouïe de son propre cri et dut exercer toute sa volonté pour rester sur place. La journée était d’une clarté lumineuse, mais au sommet de la colline, le soleil semblait sans objet. Ce n’était pas la première fois que Sheemie montait ici, et ça n’avait jamais été une partie de plaisir, mais aujourd’hui, c’était encore pis. L’endroit lui provoquait la même sensation que le son de la tramée, quand il l’entendait en se réveillant au cœur de la nuit. Comme si une horreur rampait vers lui – une horreur aux yeux fous et aux griffes rouges.

— S… s… sai ? Y a quelqu’un ? Y a…

— Approche.

La voix venait de la porte ouverte.

— Avance que je te voie mieux, espèce de crétin.

Tâchant ni de crier ni de gémir, Sheemie obéit à la voix. Il avait dans l’idée qu’il ne redescendrait pas de cette colline. Caprichoso à la rigueur, mais pas lui. Ce pauvre vieux Sheemie allait finir dans la marmite – plat de résistance ce soir, soupe demain, viande froide jusqu’au Terme de l’Année. Voilà ce qu’il allait advenir de lui.

Il s’avança contre son gré et avec des jambes en coton jusqu’au seuil de la masure de Rhéa – ses genoux auraient pu jouer des castagnettes, les eût-il serrés. Même Rhéa n’avait plus la même voix.

— S… sai ? J’ai peur, si fait.

— Et tu fais bien, reprit la voix.

Ses intonations traînantes s’échappaient par la porte comme des bouffées de fumée écœurante.

— Mais t’occupe et approche, Sheemie, fils de Stanley.

Sheemie fit ce qu’elle disait, malgré la terreur qui plombait chacun de ses pas. Le mulet suivit, l’oreille basse. Caprichoso, qui avait brait comme un putois pendant toute la montée – braiments incessants –, s’était tu.

— Ainsi te voici, chuchota la voix ensevelie dans les ténèbres. Te voici donc.

Elle sortit au soleil qui baignait le seuil de la porte, clignant des yeux, un instant éblouie. Elle serrait dans ses bras le tonneau de graf vide. Ermot était lové en collier autour de son cou.

Sheemie avait déjà vu le serpent et, les fois précédentes, il n’avait jamais manqué de se demander quelles atroces souffrances lui infligerait son agonie si jamais il était piqué par lui. Aujourd’hui, de telles pensées ne lui traversèrent pas l’esprit. Comparé à Rhéa, Ermot avait l’air des plus normal. Les joues de la vieille s’étaient creusées, donnant au reste du visage des allures de tête de mort. La peau du crâne entre ses cheveux clairsemés et son front bombé étaient envahis d’une armada de taches brunes. Sous son œil gauche béait un ulcère et son rictus ne s’ornait plus que de rares dents.

— T’aimes point à quoi je ressemble, hein ? demanda-t-elle. Ça te fait froid au cœur, pas vrai ?

— N… non, fit Sheemie, ajoutant très vite, parce que ça lui parut plus juste : « Oui, je veux dire ! »

Mais dieux, cette réponse lui sembla encore pire.

— Vous êtes très belle, sai ! lâcha-t-il tout à trac.

Elle émit un rire creux quasi muet et lui fourra le fût vide entre les bras avec une force qui faillit le faire choir sur le cul. Ses doigts l’effleurèrent à peine, mais Sheemie n’en eut pas moins la chair de poule.

— Saperlipopette. Beau tu fais, beau tu es, c’est bien ce qu’on dit, hein ? Moi, ça me va. Comme un gant, si fait. Donne-moi mon graf, idiot de gamin.

— Ou… oui, sai ! Tout de suite, sai !

Sheemie emporta le fût vide jusqu’au mulet, le déposa et commença à défaire gauchement les cordes qui maintenaient le petit tonneau de graf nouveau. Il sentait le regard de Rhéa posé sur lui et ça aggravait sa maladresse, mais il réussit enfin à détacher le tonneau. Il faillit lui échapper des mains et un bref instant cauchemardesque, il crut qu’il allait tomber sur le sol pierreux et s’y fracasser, mais il rétablit sa prise de justesse. Il le lui apporta, et le temps de noter qu’elle n’avait plus le serpent en sautoir, il sentit ses reptations sur ses bottes. Ermot dressa la tête vers lui en sifflant et dénuda une double rangée de crocs en un rictus d’une étrangeté à donner le frisson.

— Modère tes mouvements, mon garçon. Ce serait plus sage – Ermot est grincheux aujourd’hui. Entre et mets le tonneau juste là, derrière la porte. Il est trop lourd pour moi. J’ai sauté des repas dernièrement, si fait.

Sheemie se cassa en deux (Salue-la de ton plus beau salut, lui avait dit sai Thorin, et voilà qu’il lui obéissait), grimaçant à tout va, n’osant pas bouger un orteil (et alléger ainsi la tension de son dos) à cause du serpent campé sur ses pieds. Quand il se redressa, Rhéa lui tendait une vieille enveloppe tachée. Le rabat était scellé d’une goutte de cire rouge. Sheemie redouta d’imaginer ce qu’on avait bien pu faire fondre pour obtenir une cire pareille.

— Prends ceci et donne-le à Cordélia Delgado. Tu la connais ?

— Si… si fait, bredouilla Sheemie. C’est la tantine de Susan-Sai.

— C’est ça.

Sheemie tendit une main hésitante vers l’enveloppe, mais Rhéa retira la sienne un instant.

— Tu sais point lire, hein que tu sais point, idiot de gamin ?

— Nenni. Les mots et les lettres, y veulent point rester dans ma tête.

— Bien. Prends soin de ne point montrer ceci à quelqu’un qui sache ou un de ces soirs, Ermot t’attendra sous ton oreiller. Je vois loin, Sheemie. Tu m’enregistres ? Je vois loin.

Ce n’était qu’une enveloppe et pourtant Sheemie trouvait qu’elle pesait des tonnes et jugeait effrayant de l’avoir entre les mains, comme si elle était faite de peau humaine au lieu de papier. Quel genre de lettre Rhéa pouvait-elle bien envoyer à Cordélia Delgado ? Sheemie se rappela le jour où il avait vu sai Delgado, le visage couvert de toiles d’araignées ou tout comme, et fut pris de frissons. L’horrible créature qui se dissimulait devant lui dans l’embrasure de sa masure pourrait bien être celle qui avait tissé ces mêmes toiles d’araignées.

— Si jamais tu la perds, je le saurai, murmura Rhéa. Si tu la montres à quelqu’un d’autre, je le saurai. Souviens-t’en, fils de Stanley, je vois loin.

— Je ferai attention, sai.

Il vaudrait peut-être mieux qu’il perde l’enveloppe, mais il n’en ferait rien. Sheemie avait beau être faible d’esprit, comme tout un chacun le disait, il ne l’était pas au point de ne pas avoir compris pourquoi on l’avait fait monter jusqu’ici : pas pour livrer un tonneau de graf, mais pour qu’on lui confie cette lettre et qu’il la remette en main propre à sa destinataire.

— T’aurais point envie d’entrer un moment ? susurra-t-elle soudain, pointant un doigt sur l’entrecuisse de Sheemie. Si tu manges un petit morceau de champignon de ma spécialité, je prendrai la figure de la personne qui te plaît, si fait.

— Oh, mais j’peux point, fit-il, agrippant son pantalon à deux mains avec un très grand sourire, ressemblant au cri de tout son être qu’il n’arrivait pas à pousser. « Ce machin si enquiquinant, il est tombé tout seul la semaine dernière, si fait. »

Un instant, Rhéa le regarda bouche bée, vraiment surprise pour l’une des rares fois de sa vie. Puis, à nouveau, elle partit de son rire creux et étouffé. Elle se tenait le ventre de ses mains cireuses, se balançant d’avant en arrière sous le coup de l’hilarité. Ermot se sauva craintivement dans la maison, vert zigzag à rallonge. Quelque part à l’intérieur, le chat salua le retour du serpent en crachant.

— Allez, fit Rhéa, riant toujours.

Elle se pencha et laissa tomber trois, quatre piécettes dans la poche de sa chemise.

— Va-t’en d’ici, espèce de grand flandrin ! Et musarde point non plus à regarder les fleurs !

— Nenni, sai…

Avant d’avoir pu en dire plus, elle lui claqua la porte au nez si fort que de petits nuages de poussière s’insinuèrent par les planches disjointes.

 

 

7

 

Roland surprit Cuthbert en suggérant sur le coup de deux heures de l’après-midi qu’ils retournent au Bar K. Quand Bert demanda pourquoi, Roland se contenta de hausser les épaules, refusant d’en dire davantage. Bert, regardant Alain, aperçut sur son visage une étrange expression rêveuse.

Comme ils approchaient du baraquement, Cuthbert fut saisi d’un mauvais pressentiment. Arrivant au sommet d’une côte, ils observèrent le Bar K en contrebas. La porte du baraquement était ouverte.

— Roland ! s’écria Alain.

Il montrait du doigt le bosquet de peupliers qui marquait l’emplacement de la source du ranch. Leurs vêtements, qu’ils avaient laissés soigneusement étendus à sécher, étaient à présent dispersés aux quatre diables.

Cuthbert descendit de sa monture et courut vers eux. Il ramassa une chemise et la jeta au loin après l’avoir reniflée.

— On a pissé dessus ! s’écria-t-il avec indignation.

— Venez, fit Roland. Allons voir les dégâts.

 

 

8

 

Et les dégâts étaient nombreux. Comme tu t’y attendais, songea Cuthbert, l’œil fixé sur Roland. Puis il se tourna vers Alain qui, rembruni, n’avait pas l’air surpris outre mesure. Comme vous vous y attendiez tous les deux.

Roland se pencha sur le cadavre de l’un des pigeons et en extirpa quelque chose de si fin que Cuthbert ne distingua pas d’emblée de quoi il s’agissait. Puis il se redressa et, le tenant entre le pouce et l’index, le montra à ses amis. C’était un simple cheveu. Très long, très blanc. Ouvrant les doigts, il le laissa voleter sur le sol où il atterrit parmi les restes du portrait déchiré des parents de Cuthbert Allgood.

— Si tu savais que le vieux charognard était ici, pourquoi on est pas revenus lui couper le sifflet ? Cuthbert se surprit à demander.

— Parce que le moment était mal choisi, dit Roland doucement.

— Lui ne se serait pas gêné, si l’un de nous était allé chez lui saccager ses affaires.

— Mais nous ne sommes pas lui, dit Roland doucement.

— Je vais le retrouver, lui exploser les dents et les lui faire cracher par la nuque.

— Certainement pas, dit Roland doucement.

Au prochain mot prononcé doucement par Roland, Bert allait devenir fou. Toute notion de camaraderie et de ka-tet avait déserté son esprit, oblitérée par une colère noire pure et simple. Jonas était venu ici. Il avait pissé sur leurs habits, traité la mère d’Alain de pute, déchiré les portraits auxquels ils tenaient comme à la prunelle de leurs yeux, peint des obscénités puériles sur les murs et tué leurs pigeons voyageurs. Roland l’avait su… n’avait rien fait… avait l’intention de continuer à ne rien faire. À part baiser sa gueuse. Il pourrait le faire à foison, si fait, puisque c’était tout ce qui lui importait maintenant.

Mais elle va pas beaucoup aimer ton portrait la prochaine fois que tu la monteras en selle, songea Cuthbert. Je m’en vais veiller à ça.

Il s’apprêtait à lui donner un coup de poing, mais fut arrêté dans son geste par Alain. Roland se détourna et se mit à ramasser les couvertures éparses, comme si l’air furieux et le poing levé de Cuthbert ne le concernaient tout bonnement pas.

Cuthbert serra l’autre poing, comptant obliger Alain à le lâcher coûte que coûte. Mais à voir la face ronde et honnête de son ami, toutes candeur et consternation dehors, sa rage se calma un peu. Il n’avait pas de différend avec Alain. Cuthbert était sûr que son camarade avait su qu’il se passait quelque chose de moche ici, mais il était certain aussi que Roland avait insisté pour qu’Alain ne bouge pas tant que Jonas n’était pas parti.

— Suis-moi, marmonna Alain, entourant les épaules de Bert de son bras. Dehors. Au nom de ton père, viens. Il faut que tu relâches la pression. Ce n’est pas le moment qu’on se batte entre nous.

— Ce n’est pas non plus le moment que notre chef perde la boule en se vidant les couilles, fit Cuthbert, sans faire l’effort de baisser la voix.

Mais quand Alain le tira par la manche une seconde fois, Bert se laissa entraîner vers la porte.

Je vais laisser retomber ma colère contre lui encore cette fois, soit, songea-t-il, mais je pense – non, je sais – que ce sera la dernière. Il faudra que je dise à Alain de le prévenir.

L’idée d’utiliser Alain comme intermédiaire entre lui et son meilleur ami – de savoir que les choses en étaient arrivées à ce point – remplissait Cuthbert de désespoir et de fureur et, sur le seuil, il se retourna vers Roland.

— Elle a fait de toi un lâche, dit-il dans le Haut Parler.

À ses côtés, Alain retint son souffle, estomaqué.

Roland, dos à eux, les bras chargés de couvertures, s’immobilisa, comme métamorphosé soudain en pierre. À cet instant, Cuthbert fut persuadé que Roland allait faire volte-face et se précipiter sur lui. Ils se battraient, probablement jusqu’à ce l’un d’eux meure, soit aveugle ou K-O. Et probablement que ce serait lui, mais il s’en fichait éperdument.

Mais Roland ne fit pas volte-face. Au lieu de ça, il dit, adoptant lui aussi le Haut Parler : Il est venu nous dépouiller de notre ruse et de notre prudence. Avec toi, il a réussi son coup.

— Non, dit Cuthbert, revenant au Bas Langage. Je sais qu’une partie de toi le croit, mais ce n’est pas vrai. Ce qui l’est, par contre, c’est que tu as perdu la boussole. Tu baptises amour ton insouciance et tu te fais une vertu de ton irresponsabilité. Je…

— Pour l’amour des dieux, viens !

Alain, grognant à demi, le tira au-delà de la porte.

 

 

9

 

Une fois Roland hors de sa vue, Cuthbert, malgré qu’il en ait, sentit sa rage se reporter contre Alain, telle une girouette au gré du vent. Tous deux se faisaient face dans la cour ensoleillée. Alain avait un air malheureux et angoissé ; Cuthbert serrait les poings si fort qu’il en tremblait.

— Pourquoi tu l’excuses toujours ? Pourquoi ?

— Là-haut sur l’Aplomb, il m’a demandé si je lui faisais confiance. Je lui ai dit que oui. Et c’est vrai.

— Alors, tu es un imbécile.

— Et lui, un pistolero. S’il dit qu’on doit encore attendre, c’est qu’il le faut.

— C’est un pistolero par accident ! Un phénomène de foire ! Un « muté » !

Alain le dévisagea, muet de saisissement.

— Viens avec moi, Alain. Il est temps de mettre fin à ce jeu de dingues. On va aller trouver Jonas et le tuer. Notre ka-tet est brisé. Toi et moi, on va en former un nouveau.

— Il n’est pas brisé. Si jamais il se brise, ce sera toi le responsable. Et je ne te le pardonnerai jamais.

C’était maintenant au tour de Cuthbert de rester muet.

— Pourquoi t’irais pas faire une longue balade à cheval ? Pour retrouver ton sang-froid. Tant de choses dépendent de notre camaraderie…

— Va le lui dire à lui !

— Non, c’est à toi que je le dis. Jonas a insulté ma mère. Tu crois que je ne te suivrais pas rien que pour la venger, si je n’étais pas persuadé que Roland a raison ? Qu’est-ce que cherche Jonas ? Si ce n’est qu’on perde la tête et qu’on contourne notre Butte en chargeant à l’aveuglette.

— C’est vrai et faux en même temps, dit Cuthbert.

Cependant ses doigts se desserraient lentement.

— Tu ne vois rien et je n’ai pas les mots pour me faire comprendre. Si je te dis que Susan a empoisonné l’eau du puits de notre ka-tet, tu vas me traiter de jaloux. Et pourtant, je pense qu’elle l’a fait, sans le savoir ni le vouloir. Elle lui a empoisonné l’esprit et la porte de l’enfer s’est ouverte. Roland sent la chaleur qui vient par cette porte et la confond avec ce qu’il ressent pour elle… mais nous, on doit faire mieux, Al. On doit penser mieux. Pour lui comme pour nous-mêmes et pour nos pères.

— Tu la juges notre ennemie ?

— Non ! Ce serait plus facile si elle l’était.

Il prit une profonde inspiration, expira, inspira puis expira à nouveau, inspira et expira une troisième fois. Il se sentait de plus en plus sain d’esprit, se retrouvant lui-même.

— Peu importe. Il n’y a rien d’autre à dire sur ce sujet pour le moment. Je vais suivre ton conseil qui me paraît bon – je crois que je vais aller faire un tour à cheval. Un long tour.

Bert se dirigeait vers sa monture quand il se retourna une dernière fois.

— Dis-lui qu’il a tort. Dis-lui que même s’il a raison d’attendre, ses bonnes raisons sont mauvaises et qu’il a donc tort sur toute la ligne.

Il hésita avant de poursuivre.

— Raconte-lui ce que je t’ai dit sur la porte de l’enfer. Dis-lui bien que c’est ce que m’a dit mon petit shining à moi. Tu lui diras ?

— Oui. Ne t’approche pas de Jonas, Bert.

Cuthbert se mit en selle.

— Je ne promets rien.

— Tu n’es pas encore un homme, fit Alain d’une voix pleine de tristesse, au bord des larmes. Aucun d’entre nous n’en est un.

— Espérons que tu te trompes, dit Cuthbert, car c’est un boulot d’homme qui nous attend.

Et faisant tourner bride à son cheval, il s’éloigna au galop.

 

 

Magie et Cristal
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